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Nahual RPG

EdgarClement0Les Nahuales, ou Nawal, sont dans la mythologie mésoaméricaine des êtres doubles, mi-bêtes mi-hommes. Leur animal totémique est déterminé par le jour de leur naissance selon le Tonalpohualli, le calendrier Aztèque. En s’inspirant du folklore mexicain et de ce mythe en particulier, Edgar Clément, un des auteurs de ce jeu de rôle, a posé les jalons d’un univers extrêmement original.

Nahual-Duro-espEdgar Clément est né à Mexico DF en 1967. Artiste prolifique passionné par la science-fiction et l’histoire des religions, on lui doit la création en 1993 de la revue Gallito Comics, considérée comme l’équivalent mexicain de Métal Hurlant. Très influencé par David McKean, le dessinateur d’Arkham Asylum et par le célèbre illustrateur satirique mexicain Rius, Edgar Clément publie à partir de 1994 le comics qui le rendra célèbre : Operaciòn Bolivar. Cette  œuvre complexe, sombre et exubérante est une sorte de miroir déformant de la société mexicaine et de ses excès. Avec un style graphique qui regorge de références au catholicisme et aux mythes pré-colombiens, l’auteur va utiliser les codes du film noir nord-américain pour emmener le lecteur dans un univers où s’affrontent les anges et les chamans sur fond de corruption politique, de narcotrafic et de conspiration. Fort du succès de cet univers pour le moins original, Edgar Clément et son acolyte Miguel Angel Espinoza travaillent depuis 2013 à la conception d’un jeu de rôle baptisé Nahual et directement inspiré d’Operaciòn Bolivar.  Le résultat est surprenant.

«  Quand nos ancêtres espagnols sont arrivés sur le continent, ils n’étaient pas seuls. Avec eux vinrent leurs dieux et leurs armées d’anges. […] Entre l’épée de Cortés et celle de l’archange Saint-Michel, il n’y avait aucune différence.[…] Les Nahuales, les plus puissants des chamanes, résistèrent et se donnèrent pour tâche de combattre les anges envahisseurs.  »

Cet extrait de l’introduction d’Operaciòn Bolivar illustre parfaitement le background du jeu. Dans cet univers, les anges, issus de la culture judéo-chrétienne, sont arrivés au Mexique à l’époque où les espagnols mettaient le pied en Amérique. Depuis cinq cents ans, ils sont combattus par les Nahuales, les descendants des chamanes, qui continuent leur lutte ancestrale dans un Mexique déchiré par les cartels.

Avec le temps, les anges sont devenus la proie de toutes les convoitises car leur corps sert à la fabrication de matériaux précieux. Leur sang est destiné à la confection du Chinguere, une puissante eau-de-vie, leur chair possède des vertus médicinales et leurs os broyés sont consommés comme une drogue qui se vend à prix d’or. Dans ce jeu, les joueurs incarneront des Nahuales à la poursuite d’anges pour en tirer profit. Nahual-Furtivo-esp

Penchons-nous à présent sur la création des personnages. Les joueurs auront le choix entre trois types : ceux qui chassent les anges (angeleros), ceux qui capturent les anges déchus pour les asservir (diableros) et ceux qui ne sont intéressés que par la nahualité, la connaissance de soi et des forces ancestrales (chamanes).

Les Angeleros sont des commerçants. Ils traquent les anges pour les tuer et revendent leurs organes. Ce travail sordide pousse très souvent les plus fragiles d’entre eux au suicide.. Ils ont une grande connaissance des anges et de leur anatomie. Leur savoir-faire fait tourner l’économie des Cartels mexicains, d’ailleurs la CIA ainsi que diverses organisations criminelles s’y intéressent de près.

Les Diableros dédient leur vie à capturer des diables, c’est à dire des anges déchus dont le corps a perdu toute propriété mercantile. Vivants, ils possèdent toutefois de grands pouvoirs et les Diableros cherchent à les asservir à tout prix en concluant des pactes diaboliques, au risque d’être corrompu par un des sept pêchés capitaux. Dans la société mexicaine, les Diableros utilisent notamment leurs captifs comme poulains dans des combats clandestins, comme esclaves sexuels ou encore comme sicarios, de redoutables tueurs à gages.

Les Chamanes ne sont intéressés que par la connaissance de soi et par la nahualité. Ce sont des ascètes, dépositaires d’un savoir ancestral. Ils voyagent intérieurement au moyen de substances hallucinogènes, tel le Peyotl. Le pouvoir est leur motivation première. Contrôler sa nahualité donne des compétences fantastiques, comme par exemple consulter les échos du passé en interrogeant ses ancêtres ou disposer des pouvoirs d’un animal totémique. Certains Chamanes aident les cohortes de miséreux, d’autres utilisent leur don pour imposer leur volonté. Il n’est pas rare de les voir présider des cérémonies dans les appartements populaires des barrios bajos ou chez de riches étudiants en mal de sensations fortes. On les retrouve aussi bien au service des cartels de trafiquants que des ONG à finalité sociale.

Nahual-Seductor-esp Pour donner vie aux personnages, on doit leur adjoindre un archétype parmi huit possibilités  (le dur, le protecteur, le séducteur, le nerd, le furtif, le leader, le saltimbanque et le gredin.) Chaque joueur va devoir choisir une conduite parmi celles découlant de son archétype. Lorsque le personnage agit en opposition à la conduite choisie, il gagne des points de frustration qui augmentent sa nahualité.

Viennent ensuite  les attributs (colère, patience, perspicacité et passion) et les attributs spéciaux  (nahualité et tonal.) Ces deux derniers termes sont tout à fait intraduisibles en français. La nahualité est une espèce de force bestiale ancestrale qui habite les personnage, et le tonal représente en quelque sorte la conscience, l’harmonie avec le monde, qui risque de s’éroder au fil du jeu. Ces deux attributs sont antagonistes. Tout au long des parties, les joueurs vont être amenés à contrôler leur nahualité et à vivre une transformation mystique graduelle liée à un animal totémique. Le personnage pourra faire appel à ce totem pour obtenir des pouvoirs surnaturels.

Pour en finir avec la création des personnages, il faut encore déterminer leur degré de relations.   Chaque joueur va devoir noter une valeur de relation pour chaque PJ avec qui son personnage est en lien. Cette valeur représente la connaissance de l’autre. La relation est donc bien souvent asymétrique. En effet, Miguel peut avoir une relation de 4 avec Marcus alors que celui-ci n’aura que 2 envers Miguel. Le concept est un peu abstrait mais permet de baliser le roleplay. De plus, si un personnage obtient à un moment ou un autre un score de relation égal à 0 ou 7, il gagnera des points d’expérience.

Tout le système du jeu est en fait librement inspiré de celui d’Apocalypse World, de chez Lumpley Game (le logo Apocalypse World figure d’ailleurs sur le site internet de Nahual.)  Le jeu n’utilise que des dés à six faces. Sur un résultat de 4, 5 ou 6, le jet est un succès. Si on obtient un seul succès, on considère la réussite comme faible, deux ou trois succès constituent une réussite forte. Quatre succès ou plus signifient que la réussite est épique. Pour connaître le nombre de dés qu’il faut jeter, il faut se référer à la réserve de dés qui correspond à chaque attribut. Certains modificateurs pourront être utilisés sous forme de jet de dés supplémentaires, ou encore sous forme d’un nombre de succès automatiques accordés. Chaque résultat de 1 sur le dé annule un succès et procure 1 point de frustration. La réserve de frustration pourra être utilisée pour obtenir certains bonus en terme de jeu. Le joueur devra prendre soin de ne pas dépasser un certain seuil de frustration sous peine de ne plus pouvoir contrôler les instincts de son personnage.  Nahual-Protector-esp

Nahual RPG est un jeu innovant tant par rapport à l’univers qu’il propose que par le système de jeu qui en fait son épine dorsale. L’ambiance est noire, très noire et toute la trame de l’histoire est une réflexion sur l’identité mexicaine et une critique sociale implacable du capitalisme sauvage, des religions et des liens entre politique et narcotrafic dans le Mexique contemporain. La cité de México, Distrito Federal comme la nomme ses habitants ou DF en abrégé, est la ville la plus peuplée de l’occident et cache dans ses entrailles de sombres secrets. L’ambiance de Nahual RPG est un savant mélange de polar et de fantastique sur fonds de croyance judéo-chrétienne et mésoaméricaines. Amateurs de curiosités, de découvertes et de sensations extrêmes, ce jeu est fait pour vous.

Nahual RPG est un jeu de rôle mexicain crée par Edgar Clément et Miguel Ángel Espinoza. La version Beta est téléchargeable gratuitement (en anglais et en espagnol.) Pour ceux qui seraient intéressés de participer à la publication du jeu, les concepteurs ont mis en place sur leur site des appels aux dons.

Quelques liens utiles sur l’univers d’Edgar Clément (en espagnol.)

http://nahualrpg.com/ : le site officiel.

https://skydrive.live.com/?cid=5C913ACA2663E2E5&id=5C913ACA2663E2E5!170

L’entièreté du comics Operaciòn Bolivar est disponible gratuitement sur ce site. 160 pages en noir et blanc indispensables pour comprendre le monde de Nahual RPG.

http://www.interzone.produccionesbalazo.com/category/comics/

Son nouveau comics, Los perros salvajes, qui prend place dans le même univers, a été publié en épisode durant deux ans sur internet. Ses 103 pages sont consultables gratuitement sur ce site

http ://issuu.com/edgarclement   

D’autres créations graphiques d’Edgar Clément.

http://capitanquasar.blogspot.be/2007/11/ciudad-de-angeles-operacion-bolivar-de.html

http://www.paradigmas.mx/taquiza-de-angel-el-mexico-de-edgar-clement/

Deux critiques d’Operaciòn Bolivar.

http://www2.gsu.edu/~forhdf/bolivar.pdf

Une étude de l’Université de Géorgie sur le comic Operacion Bolivar

Un poète maudit à Montevideo

Joaquin Ezequiel Ortis, est décédé hier à l’âge de 48 ans. La nouvelle a fait la une de nombreux quotidiens latino-américains ce matin. Retour sur la vie mouvementée d’un artiste hors norme.

Dans les années 90, Joaquin Ezequiel Ortis occupait une place de choix dans la rubrique faits divers de la presse de son pays. Très jeune, il défraya la chronique par ses mœurs plutôt originales. Jugez plutôt, condamné en 1992 parce qu’il se promenait nu et armé d’un fusil dans le Cementerio Central, il purgea une peine de 11 mois ferme au pénitencier Libertad (sic).

gaucho_con_mate1Deux ans plus tard, celui qui deviendra l’auteur des « Versets de Plomb et autres médisances du Monde », percuta avec sa moto le colonel Ernesto Girardo, le blessant légèrement aux genoux. Il échappa de justesse à une condamnation pour terrorisme et déclara lors de son jugement qu’il s’agissait d’un accident et qu’il n’avait pas la moindre idée de qui était l’officier Girardo.  On lui retira son permis de conduire et le juge Pedro Llanos le condamna à une nouvelle peine de 17 mois à Libertad où il se faisait désormais appeler Loco-Moto.

On sut des années plus tard tard, grâce à une photo exhumée par le quotidien El Observador, que Joaquin Ortis connaissait très bien Girardo.  Le cliché, datant de l’époque où Ortis étudiait le droit à l’Université Catholique de Montevideo, montrait une scène de bagarre de rue prise lors d’une des nombreuses manifestations qui émaillèrent le pays dans les années 80. Au milieux des corps aggripés on voyait très nettement Ortis, le visage grimaçant, empoigner rudement Ernesto Girardo, qui n’était encore qu’un jeune lieutenant. On comprend aisément qu’Ortis n’ai pas fait mention de cette altercation lors de son jugement. En revanche, le mutisme du colonel en étonna plus d’un. Certains journalistes évoquèrent même une relation amoureuse entre les deux hommes mais cette affirmation ne dépassa pas le cadre de la presse à scandale.

En 2001, peu après le 11 septembre, Joaquin Ortis  fit paraître l’opus qui lui donna la reconnaissance de ses pairs :  Les guerres médianes, un recueil de poésie où fantastique et critique sociale se mêlent sobrement. Toutefois, son prologue acerbe, véritable pamphlet contre les néo-conservateurs de Washington, lui valut de devenir persona non grata aux Etats-Unis. On lui refusa son visa et il ne put jamais donner la conférence où il était convié aux côtés de Noam Chomsky pour parler de la guerre contemporaine et de sa transfiguration littéraire.

Dégoûté de cette décision (on apprit par sa mère qu’il avait toujours rêvé de se rendre à New-York), Ortis entreprit un long voyage à pied à travers la pampa avec pour seul bagage un livre de Borges sous le bras (d’après des témoins, qui l’auraient croisé saoul et indigent sur le parvis d’une église de la Colonia del Sacramento, il s’agirait d’un exemplaire de la fausse biographie d’Evaristo Carriego.)

Les tabloïdes de tout le pays ont mené une véritable battue pour mettre sur papier ses frasques d’alors. Durant ses années d’errance, on raconte qu’il mit enceinte la révérende Mère du couvent des Clarisses de Tacuarembo, qu’il se brisa les deux jambes en se jetant hors d’une voiture de police, qu’il aida un jeune voleur à prendre la fuite en déclamant des vers érotiques sur la place d’un marché local ou encore qu’il dessina un pénis de 7 mètres de haut sur la façade de la caserne de Rio Branco.

C’est pourtant de ce voyage initiatique qu’il tira son chef-d’oeuvre incontesté : Versets de Plomb et autres médisances du Monde, un véritable coup de poing dans le ventre de l’Intelligencia des lettres uruguayennes. Le succès fut immédiat. Le doyen de la faculté de littérature de l’Université Catholique de Montevideo démissionna. Dans sa déclaration, il souligna par trois fois sa totale incompétence à diriger un département désormais désuet tant la claque infligé par Ortis faisait vaciller les fondations de l’académie et l’usage de la langue.

18457Joaquin Ezequiel Ortis quitta la rubrique faits divers pour faire son entrée en première page des revues culturelles. Il conserva le sobriquet de Loco-Moto et passa les cinq dernières années de sa vie entre le quartier Miguel Arrango et La Sobrepassa, son village natal. Il écrivait ses vers sur les murs décrépis des clochers de campagne. Il enseignait l’Esperanto à des vieux malades qui gisaient impotents dans des arrières salles d’hôpitaux vétustes et poussiéreuses. Lorsque Manuel Marcos, journaliste de l’Observador lui demanda quel était son poème favoris, Ortis lui écrasa le poing sur le nez. La photo de cet épisode est d’ailleurs la dernière du poète.

En juin dernier, alors qu’il déambulait dans sa ville, une jeune femme lui aurait proposé de lui lire les lignes de la main. Clara Martinez Ortis, son épouse présente ce jour là, a été témoin de son dernier soupir. Elle a affirmé devant les caméras de TV Ciudad que la jeune voyante a susurré un mot à l’oreille de son mari, a empoché les cinquantes pesos et qu’ensuite Joaquin s’est effondré, mort.

Ortis repose désormais dans le Cementerio Central, ce même lieu qui le fit sortir de l’anonymat. Sur sa pierre tombale sont gravés ces mots  :  C’est la poésie ou les chiens.

Pour commémorer sa mémoire, voici Ego, extrait des Versets de Plomb et autres médisances du Monde  :

Le troupeau dévastateur vomissant ses lamentations

Et la vacuité de ces piètres penseurs

Magnétiques et nauséeux

Particules toxiques dardant leurs influences sur des fréquences inconnues

Goules beuglantes, fleurs soyeuses au fumet âcre de la péremption

La vacuité est solennelle

Mais des geôles de Libertad une voix s’élève

On the road.

Vous avez aimé Mad Max ? Vous adorerez Caracas, la capitale du Venezuela.

Dans un pays où l’essence coûte moins cher que l’eau, il est normal que la voiture soit un moyen passablement privilégié. Mais quelles voitures ! Outre les 4×4, appréciées par les élites dans tout les pays en voie de développement, on observe ici à perte de vues, dans les quartiers plus populaires, des files de Buick, de Cadillac, de Dodges. Et puis des Chevrolets ici, des Ford là-bas (la Mustang évidemment !), des Jeep, des Packard, des Pontiacs, bref, tout ce dont notre imaginaire d’occidental gavé de films « gringos » s’est nourri durant notre enfance malléable est régurgité ici en « tôle et en moteur », avec le cachet propre aux ancêtres puisque la plus récente de ces épaves doit dater du début des années 80.mad-max1

Les flammes, le cobra ou le crâne humain peints sur les flancs ou les capots des voitures sont presque monnaies courantes et le fin du fin reste bien évidemment le pare-choc renforcé de pointes ou encore l’enjoliveur hérissé de piques.   C’est la chaude ambiance ! (Au propre comme au figuré car voyez vous, il n’est pas rare de voir sur les bas-côtés de la routes des incendies naissant, véritable murets de flammes, dont l’origine reste floue mais dont tout le monde semble se soucier comme de l’an 40). Le « road movie » plus proche du « Crash » de J.G.Ballard que de « Thelma et Louise » que vous allez vivre pourra être ponctué par l’apparition d’un personnage assez important, l’arlequin local, j’ai nommé le flic-motard ! Oubliez Poncherello car ici les flics peuvent parfois se rencontrer chevauchant leur moto torse nu et sans casque. Pas de panique, seul règne le non-code de la route. Toutefois, évitez tout commentaire et fermez le verrou de la portière. Vous êtes à Caracas, nom de Dieu !

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Pantaleon et les visiteuses

Un fou rire sur 300 pages, c’est ce qui me vient à l’esprit quand je pense à cet ouvrage de Vargas llosas.

Imaginez la forêt amazonienne du Pérou dans les années 50 et un capitaine de l’armée nommé Pantaleon y débarquant avec une nouvelle affectation. Sa mission est très spéciale: coordonner et organiser le régiment des « Visiteuses », qui ne sont autres que des prostituées envoyées par convois entiers vers les bases militaires les plus retranchées de la jungle pour y apporter un peu de réconfort aux troupes. L’opération est une réussite totale, si bien que ce régiment va croître jusqu’a inquiéter les pontes de l’armée trop soucieux de préserver la dignité de celle-ci.

Avec un style d’écriture unique, presque expérimental, Vargas Llosa va nous entrainer avec beaucoup d’humour sur les traces de ce capitaine et de ces troupes peu conventionelles.

A lire absolument!